exceptions permanentes

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A la mort d’Oussama Ben Laden, j’ai pleuré la fin d’un état de grâce de l’exception. Depuis le 11 septembre, le monde bénéficiait d’un régime mondial d’exception. Ça nous changeait des régimes locaux d’exception. Un exemple : un dangereux prisonnier s’évade. Entre le début de sa cavale et le jour de sa capture, nous vivons un arrêt du temps, oui nous sommes avides d’en savoir plus, nous sommes avides de n’entendre parler que de ça, mon avidité ne se repait d’aucun contenu. A la rigueur le rien plutôt que le plein. Pas par goût du rien. Ce goût du vide, ce goût du retranchement si propre au vingtième siècle. Ce goût des paradoxes qui donnent à penser. Ce goût de la pensée vitesse, diaboliquement créatrice, fatalement littéraire. Ce goût des fragments systèmes. Non, nous sommes avides de l’exceptionnel qui est le contraire de rien mais aussi de quelque chose. Notre goût du sel. L’exceptionnel n’est pas, il est la suspension de maintenant, du sujet, de l’objet, et même du trajet. Je reprends l’exemple de notre évadé. Pendant des mois, il prépare son évasion, il soudoie des matons, obtient d’anciens lieutenants qu’ils viennent se sacrifier pour lui, il pense à tout sauf à ce qu’il fera le jour où il aura fait sauter les murs de la centrale à l’explosif. Le jour venu le voilà qui arrête un automobiliste et lui ordonne d’aller tout droit. Puis quand tout droit ne mène plus rien. Hé bien prenez à gauche. Non, à droite. Il évite quelques barrages et à la fin, on lui met une cagoule sur la tête qui passe en boucle à la télé. Fin de la récré. La mort joue aussi ce rôle me dis-tu dans un mail critique où tu te permets de pointer ça et là quelques je te cite pirouettes un peu faciles. Tu fais bien. Mon problème c’est que je n’écris que pour des gens qui commentent. Ils aiment aiment pas. A peine me lisent-ils que les voilà écrivant. J’en soupçonne certains de répondre avant même de me lire. Ils sont les écrivains du siècle en cours, la pensée doit les suivre, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils écrivent. Dire prime. On pourrait parler d’un régime général de l’exception. On dit, on parle, on commente tout ce qu’on peut, on confie aux autres la charge de notre pensée. Un jour quelqu’un en fera la synthèse. Un jour quelqu’un verra tout ça comment c’était riche. En attendant je bosse, je produis, j’occupe la place. L’état d’exception est intenable tant que l’état n’est pas transformé en dégât. Il faut convenir d’une déchéance. La fin de l’état d’exception n’augure pas d’une mélancolie ni d’une nostalgie. Oussama était mort depuis longtemps, l’évadé n’avait aucune chance. La fin d’une exception se confond avec son début. Son début ou la fulgurance de sa fin. La fin comme signal d’une histoire qui commence. La mort d’Oussama nous déçoit. On s’en prend aux méthodes de police, on déteste la police. Police je te déteste, tu gâches tout, tu abimes tout. La fin de cavale est nulle. Il n’avait aucune chance est la phrase de ceux que rebute l’exception sans fin, les vacances permanentes, l’épidémie sans cause, le tsunami nami, la cata nucléaire nucléaire. On congédie l’exception que l’ajout continue du sel a rendu imbouffable. Plusieurs amours m’ont dit que j’étais exceptionnel, à la fin c’est comme s’ils ne l’avaient jamais dit. Et cependant nous nous aimons. Je t’aime. Mais ne me mens pas, tu l’aimes moins depuis son retour de captivité. Tu ne l’as jamais autant aimé que pendant ces longs mois d’inquiétude. Tu n’as jamais autant pensé à lui, parlé de lui, rêvé de lui, tu ne l’aimes plus comme avant, tu ne l’aimes plus du tout, tu es droguée à l’angoisse, de lui tu n’as rien caché dans le but bien sûr de hâter son retour, bien sûr, mais tu ne dis pas le plaisir du déballage, les larmes d’avoir à le faire, le soulagement d’enfin vaincre tes propres résistances et  tes scrupules à dévoiler votre amour, que c’était bon n’est-ce pas ces interrogatoires, quel intérêt soudain pour ta propre personne. A-t-on jamais été plus curieux à ton égard. Quand tu auras coupé le bracelet à la con que les communicants nous avaient conseillé de porter jusqu’à sa libération, tu auras mis ton alliance au clou, tu seras amoureuse encore quelque temps de la pauvre image de compagne souffrante qu’une certaine élégance a cependant écarté des plateaux télés avant le dénouement que sous aucun prétexte tu n’aurais manqué, tu te réservais, tu gardais le meilleur pour la fin. Tu ne voudras plus le voir au risque de perdre ce bout d’exception, ce petit reste, cette idée du sel dont tu as perdu le goût. Qu’elle te semble tiède soudain la vie d’avant en le voyant ce revenant  se coucher à tes côtés dans ton lit de désespoir. Définitivement les revenants n’ont aucune chance, regardez Lazare : « c’est ainsi qu’avec un visage de cadavre qui a passé trois jours dans les ténèbres livré au mystérieux pouvoir de la mort revêtu de somptueux habits de noce, étincelant d’or jaune et de pourpre sanglant, pesant et silencieux, déjà autre et singulier au point de susciter l’horreur, mais sans que personne s’en fût encore rendu compte, il siégeait à la table du festin parmi ses amis et ses proches. »



05/07/2011
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